Genèse de la démonstration d'un théorème.
Notre dernier problème, celui des spaghetti, a été l'occasion d'un échange intéressant au sujet des résultats trouvés. Cet échange s'étant fait principalement par mails, nous allons ci-dessous en présenter le déroulement, avec bien sûr l'accord des intervenants.
D'abord l'énoncé du résultat obtenu, le Théorème du Spaghetto:
Théorème: Soit un spaghetto brisé en n morceaux, les points de rupture étant répartis suivant une loi de probabilité uniforme sur toute la longueur du spaghetto. Alors la probabilité que ces n morceaux constituent les cotés d'un n-polygone est: 1-(n/(2ⁿ⁻¹))
Historique de l'obtention de ce puissant résultat.
Les deux responsables du blog, Dominique Strazzabosco et Eric Zeltz, après avoir résolu le cas particulier du triangle (n=3), se frottèrent ensuite au cas n=4 et au cas général. Dominique en partant sur un calcul direct de la probabilité en jeu, mais n'ayant pu finaliser le cas général. Eric en partant sur une méthode élémentaire (par un arbre) mais n'arrivant pas au même résultat ((1/2)) obtenu par Strazza dans le cas du quadrilatère. Par contre Eric traita sans difficulté par sa méthode le cas général, avec un résultat qui était confirmé par le résultat obtenu tous les deux pour n=3 ((1/4)) et celui obtenu par lui pour n=4 avec la même démarche que dans le cas général.
Pour trancher, Eric fit appel à deux autres collègues (Stéphane Kirsch et Olivier Bertrand) et leur soumit le problème.
C'est l'échange mail qui en suivit que nous allons maintenant relater:
D'abord le premier apport de Stéphane:
qui suscita la réaction et confirmation suivante d'Olivier:
Peu après, Stéphane finalise son travail par l'apport suivant:
Ce à quoi Eric réagit de la manière suivante:
"Merci pour ce joli résultat, Stéphane, mais effectivement, tu utilises l'artillerie lourde! Moi j'étais parti tout bêtement à partir d'un arbre, mais je n'avais pas obtenu ton résultat. J'ai du me tromper quelque part. Si ton résultat est juste (et je pense qu'il l'est) l'événement contraire (ne pas pouvoir faire un polygone) aurait pour probabilité n/2^(n-1) ce qui correspondrait à n branches de longueur n-1 et de proba 1/2 pour chaque arête de l'arbre. J'étais pas loin d'avoir cela, mais j'ai dû mal analyser quelque chose quelque part. Je reprendrais cela à tête reposée et quand j'aurai plus de temps."
Olivier donne alors son grain de sel et propose une méthode certes moins technique que celle de Stéphane, mais loin d'être élémentaire. (C'est là-dessus que Strazza avait échoué).
Si X1<1/2 et X2<1/2 (proba 1/2²) et les autres Xi>1/2, Pour i>=3 les Xi sont répartis uniformément sur l'intervalle de longueur 1: [X2;X2+1]. Si tous les Zi sont sup à X2+1/2 (proba 1/2^(n-3)), on ne peut faire le polygone.
Cette situation a encore pour proba (1/2²)*1/2^(n-3)=1/2^(n-1).Etc, etc.
On balaye ainsi les n cas possibles où on ne peut faire de polygone, et toujours avec le même résultat de 1/2^(n-1). Donc la proba de ne pouvoir faire un polygone est de n/2^(n-1) et celle de pouvoir en faire un de 1-n/2^(n-1)"
Les Xi suivent toutes une loi uniforme sur [0,1] et sont mutuellement indépendantes.
On cherche alors la probabilité d'avoir un morceau de longueur >1/2:
- premier cas: ce morceau est délimité à gauche par 0. La probabilité de ce cas est (1/2)^{n-1} puisque c'est la probabilité que tous les Xk soient >1/2.
- autres cas: ce morceau est délimité à gauche par un Xk.
Pour k fixé, la probabilité d'un tel événement est la probabilité que Xk<1/2 et que Xh pour h≠k vérifie Xh appartient à [0,1]\[Xk,Xk+1/2]. Cet ensemble est de mesure 1/2, les Xh sont indépendants, donc la probabilité obtenue est bien (1/2)*(1/2)^{n-2}=(1/2)^{n-1}.
Tous les événements décrits plus haut sont presque disjoints (leur intersection est négligeable à chaque fois, puisque la probabilité qu'un Xk soit nul ou que Xk=Xh pour h≠k est nulle). La somme des probabilité obtenues vaut alors n/2^{n-1}. CQFD."
"La solution de Stéphane met parfaitement au clair l'évidence intuitive que la position du plus gand morceau ne change rien à la donne. Comme quoi il est souvent plus difficile de trouver et mettre au point une solution utilisant un raisonnement élémentaire qu'une solution technique mathématiquement (du moins quand on maitrise cette technicité mathématique).
Mais la beauté d'une démonstration est à mon avis (c'est très subjectif) obtenue quand elle utilise un minimum de techniques pour un maximum de résultat"
PS: Alors que nous réfléchissions à une autre démonstration fondée sur des considérations géométriques, nous avons appris après coup que l'énoncé et la démonstration de ce résultat existaient déjà.
Voir spaguetto_gomez__2_, article paru en 2006.
La démonstration est géométrique et ressemble assez à celle que nous étions en train de mijoter.
Par contre, il nous paraît abusif d'admettre sans autre forme de procès concernant les variables aléatoires en jeu que la proba recherchée est le rapport des mesures des domaines géométriques concernés. C'est ce que pourtant font les auteurs de l'article cité quand ils affirment ceci:
"It is clear that P(n) = µ(Υn)/µ(∆n), where µ is any (n − 1)-dimensional Euclidean measure on the subsets of ∆n."
A notre sens, il faut le justifier, et c'est ce qui d'ailleurs manque encore actuellement à notre démonstration en construction pour que nous puissions vous la présenter.